31 Mars 2020

Management à distance

Management interculturel

La mise à distance des collaborateurs est une tendance profonde que la crise du coronavirus accélère. Comment en faire une source d’opportunité et non d’anxiété ?

Management à distance

Voir dans la mise à distance une opportunité

La mise à distance des collaborateurs est une tendance profonde que la crise du coronavirus accélère. Il s’agit pour les entreprises de faire en sorte que chaque leader, manager et collaborateur voit dans cette mise à distance une source d’opportunité et non d’anxiété.

Le problème à résoudre tel que posé par les clients est : comment être efficace et impactant malgré la distance qui sépare les collaborateurs et les managers ? Comment créer une communauté virtuelle alignée et motivée malgré cette distance ?

Les problèmes posés par la distance

Quand on demande aux dirigeants et managers les problèmes qu’ils associent à la distance, les réponses se trouvent en général dans la liste suivante : déshumanisation du travail, méconnaissance des collègues, incapacité à cerner qui fait quoi, perte de contrôle, moins d’impact, moins de pouvoir, sentiment d’isolement ou de déclassement, climat de défiance, climat conflictuel, modes de fonctionnement inefficaces, bureaucratie, trop de reporting, multiplication des indicateurs de performance (les KPIs), trop de procédures.

Du besoin de contrôle

Excès de reporting

Attardons-nous sur une des sources de frustrations majeures, cet excès de reporting, de KPIs, de procédures et de réunions à distance. De quoi cet excès est-il le nom ? Pourquoi cet abus de reporting et de procédures pour assurer, à distance, la performance ? Une analyse nous renvoie vite à un besoin largement répandu dans le logiciel managérial : le besoin de contrôle.

Dans un environnement local, dans un management de proximité, il est facile d’exercer ce contrôle de manière plus ou moins subtile et constructive.

Un dirigeant avec un fort besoin de contrôle peut se contenter de voir, se satisfaire de la proximité avec ses collaborateurs, d’interactions physiques régulières pour répondre à ce besoin. Imaginons que ce même dirigeant se retrouve à la tête d’équipes éclatées sur de nombreux sites et dans de nombreux pays, comment satisfera-t-il ce besoin de contrôle ?

Peu de choix se présente à lui, hormis la multiplication des KPIs, apte à donner l’illusion de contrôler ce qui se passe "là-bas", dans le reflet –le leurre ?- d’un tableau excel ou de plateformes informatiques. Voilà pour contrôler ce qui est fait. Pour contrôler comment cela est fait, la multiplication des process et procédures fera l’affaire.

Le problème ici n’est donc pas la distance mais le contrôle exercé à distance.

Doser le contrôle

Je recommande toujours à chaque dirigeant d’investir dans une réflexion sur son rapport au contrôle et sur les conséquences sur soi et sur les autres dans un tel environnement. Il ne s’agit pas de supprimer le contrôle mais de le doser.

A distance, la surdose coûte très cher : circuits décisionnels inefficaces, goulets d’étranglements, bureaucratie, délais, innovation annihilée, désengagement.

Sortons la confiance du seul domaine de la bonne volonté et construisons un réel business case confiance versus contrôle en intégrant coûts, risques et opportunités.

Du sentiment d’impuissance ou d'invisibilité

Portons maintenant notre attention sur une autre source d’inconfort importante : l’incapacité à être impactant dans un environnement virtuel, le regret de manquer de ressources, l’impression de perte de pouvoir, le sentiment d'invisibilité et d’isolement aussi.

Ce dernier symptôme est souvent le plus douloureux et doit être traité sérieusement par l’entreprise. Là encore, il est plus intéressant dans cet environnement de questionner le logiciel managérial et non ce qui le fait "bugger", la distance.

La verticalité bousculée par la distance

Typiquement, nos organisations traditionnelles ont inscrit notre impact, notre statut, notre accès aux ressources dans une très forte verticalité, d’où le surinvestissement affectif, relationnel et productif vis-à-vis de notre hiérarchie vers le haut, le manager en premier lieu, et vers le bas les équipes et individus subordonnés.

C’est ce rapport vertical à l’organisation que la distance bouscule, en isolant les individus de leur lignée hiérarchique, et en créant de multiples interdépendances transverses et virtuelles qui obligent à repenser son impact et à l’envisager dans sa dimension horizontale plutôt que verticale.

Pour accéder aux ressources, exercer le pouvoir et développer son impact, il faut dorénavant regarder à gauche et à droite bien plus qu’en haut et en bas.

Les attributs du pouvoir

Il s’agit de questionner sa perception des attributs du pouvoir, c’est-à-dire ce qui donne du pouvoir, ou, au contraire, n’en donne pas. Une vision trop positionnelle du pouvoir (hiérarchie, âge, statut social, expertise) mène beaucoup de dirigeants dans l’impasse. Les entreprises sont aujourd’hui remplies d’experts et de chefs impuissants.

En effet miroir, on retrouve aussi bien la difficulté à sortir de cette verticalité de la part des managés qui ont encore souvent des attentes vis-à-vis de leur manager auxquelles l’organisation d’aujourd’hui rend impossible de répondre, que de la part du manager qui voit un élément essentiel de ses attributs managériaux lui échapper, l’autorité ou l’expertise.

Le T-leadership

On gardera donc en tête cette image du T-leadership, le leadership en forme de T, qui tel l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci évoque autant l’ampleur horizontale que l’ancrage vertical du dirigeant impactant d’aujourd’hui.

Dans un tel environnement, on recommandera donc d’investir dans le développement d’un leadership transverse, apte à créer de la valeur dans la complexité horizontale de l’organisation.

On parle alors de compétences autour de la confiance, l’influence, l’alignement, la résolution de conflits, le networking, l’intraprenariat, etc.

De l’ambigüité et de l’incertitude

Autre exemple dans la liste de problèmes auxquels la distance est souvent associée : le qui-fait-quoi, le où-est-qui, la navigation à vue, bref ce qu’on pourrait résumer à l’ambigüité et l’incertitude dans l’organisation.

Clarifier les rôles de chacun

Le rôle de la distance est là aussi tout relatif ; j’ai beaucoup d’exemples d’équipes réorganisées sur le même site, souvent en open-space, sans problématique réelle de distance, qui affirment qu’elles n’ont plus aucune clarté sur les rôles de chacun et que les zones grises semblent devenir la règle dans la définition des responsabilités.

Les Américains parlent pour aller plus vite d’environnement VUCA, acronyme qui veut dire volatile, incertain, complexe et ambigu.

La question centrale devient : la clarté indispensable pour avancer ensemble, clarté sans laquelle il n’y a pas d’alignement possible. Devons-nous l’attendre en rongeant notre frein ou devons-nous prendre en charge cette clarification nous-mêmes ?

Les managers comprennent aujourd’hui que seule la deuxième option est viable, constatant souvent avec dépit que la clarté est la promesse non tenue de l’organisation.

Ceci est une source de frustrations immenses à la fois pour les collaborateurs qui font à un moment l’expérience du chaos et pour les dirigeants et managers qui ne sont plus capables d’apporter cette clarté, eux-mêmes soumis à la propre volatilité de leurs priorités.

Remettre de la lisibilité

Clarifier est probablement la fonction clé que l’organisation remplissait avant pour tous ses membres, et que chaque membre doit aujourd’hui remplir pour l’organisation.

Clarifier devient un job à part entière du T-leader dans une organisation qui n’est plus là pour générer de la clarté mais de l’agilité.

Chaque manager devient ainsi comptable de remettre de la lisibilité dans ses interdépendances, en construisant des partenariats, en collaborant, réconciliant, alignant, clarifiant avec les autres le "pourquoi on le fait, comment on le fait, et le qui le fait".

Dans un tel environnement, on recommandera donc de challenger ses attentes vis-à-vis de l’organisation, et de mettre en œuvre une collaboration constructive sans jamais oublier de clarifier d’abord, pour soi, et avec les autres le pourquoi, le comment et le quoi.

De l’email, de l’hyper-traçabilité et du formalisme

Évoquons enfin le problème récurrent dans les organisations virtuelles d’aujourd’hui : l’omnipotence de l’email. On parlera de pouvoir de l’email pour son rôle de traceur impitoyable autant que pour sa sur-utilisation généralisée.

Cette omnipotence puise sa source dans plusieurs facteurs : le manque réel ou perçu d’alternatives pour la communication à distance, la défiance généralisée qui mène à la recherche de traçabilité ("regarde, je t’ai envoyé un email le 4 février 2020 à 15h32"), et la course à l’information.

Reconnaissons d’abord depuis quelques années la vraie prise de conscience et d’initiatives sur la recherche d’alternatives à l’email : outils de messagerie instantanée simple (le "chat") ou augmentée (whatsapp et autres), réunion virtuelle avec webcams partagées, réseaux sociaux, communautés, Skype, Teams, Slack, etc. Je citerais l’exemple récent de ce dirigeant commercial d’une firme industrielle qui a exigé que chacun de ses collaborateurs soit présent sur whatsapp en ajoutant "si vous n’avez aucune idée de ce que c’est, demandez à vos enfants".

Le frein principal à l’adoption de ces nouveaux outils est souvent leur association avec une forme de futilité, de gadget. Il faut alors redire à quel point ce qui est perçu comme futile à distance est a-contrario considéré comme essentiel en proximité: l’informalité et l’interaction.

Avec la distance disparaît l’informalité de la machine à café, l’interaction des émotions partagées dans un couloir, la (re)connaissance qui se crée dans la proximité. Considérer qu’il suffit de délivrer pour créer de la confiance est un leurre. La confiance a autant à voir avec qui nous sommes qu’avec ce que nous faisons.

Quand l’informalité disparaît, se crée la société du tout-formel et du tout-traçable qui détruit lentement la confiance. On peut constater l’inverse proportionnalité entre usage de l’email et confiance dans l’organisation virtuelle.

Il faut donc à tout prix faire preuve de créativité pour recréer cette informalité à distance avec les bons outils et du temps consacré. Dans cette course à l’information, il faut aussi avoir le courage d’appauvrir nos communications en information pour les enrichir en interaction.

La distance, révélateur photographique de la culture d’entreprise

Ainsi, tel le révélateur photographique qui permet de découvrir une image latente et invisible, la distance porte à la lumière la culture de l’entreprise.

Trempez une culture managériale hiérarchique et descendante, axée sur le contrôle et l’expertise, dopée à l’information, dans ce révélateur de la distance et vous verrez alors briller reporting et procédures à l’excès, impuissance managériale, circuits décisionnels inefficaces, sentiments de déclassement et d’isolement, omnipotence de l’email et une armée de managers freinés par l’incertitude et l’ambigüité.

L’énergie doit donc être portée à adapter la culture managériale aux standards nécessaires pour générer de l’engagement et de la productivité dans les organisations modernes. C’est la responsabilité de chacun, à tous les niveaux de l’entreprise.

Socrate disait que nous sommes individuellement responsables de la culture dont nous faisons l’expérience.

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